mercredi 21 mars 2007

Plus d'informations sur le collectif

Le collectif Dispersal, né fin 2005 à Bruxelles, regroupe plusieurs personnes créatrices, autour de la capitale, dans le but d'aménager pour eux-mêmes et pour d'autres des moyens de diffusion adaptés et indépendants. Dans ce cadre, nous avons déjà plusieurs réalisations marquantes à notre actif : Deux soirées d'exposition pluridisciplinaires, réalisées en mars et en novembre 2006, comportant projections vidéo, concert, oeuvres plastiques, créations radiophoniques, lectures de poésie... ces soirées ont reçu un public enthousiaste à deux reprises, dans un lieu privé à Bruxelles ;

Autres réalisations : deux revues, incluant tous types d'écrits, et d'illustrations, rassemblant des dizaines d'auteurs européens, éditées et mises en pages par le collectif, à l'occasion de chaque soirée ;

ainsi qu'un CD-R édité à une centaine d'exemplaires de l'artiste Henry Fool, qui avait joué lors de la première soirée en mars 2006. Premier exemple du suivi que Dispersal cherche à donner à ses collaborations et de son refus de se limiter à des rencontres ponctuelles.

Pour l'avenir immédiat, le collectif désirerait rendre ses activités plus pragmatiques, plus créatrices et organiser des évènements plus ponctuels, au contenu moins imposant quantitativement, mais plus importants dans leurs dimensions et leurs ambitions. Dans cette optique nous avons le désir d'organiser des "live soundtracks", c'est-à-dire, comme cela peut se faire au Cinéma Nova par exemple à Bruxelles, des concerts réalisés simultanément à la projection d'une vidéo ou d'un film.


lundi 19 mars 2007

live soundtrack #2

Seconde soirée dans notre série de projections-concerts (ou live soundtrack pour les non-anglophobes). Après Maxime Coton et Stan Brakhage, vendredi 23 mars, nous avons le plaisir d'accueillir Half Asleep en duo, sur des vidéos de Broadway (http://www.broadway6am.com/).

Rendez-vous donc le 23/03/2007, à St-Gilles (Bruxelles), 12 rue de l'aqueduc.
Début de la soirée à 20h00.
Prix d'entrée 2€ !

Merci à Graphoui pour son aide !
http://www.graphoui.org/

jeudi 1 mars 2007

#9 : maxime coton - la musique a aussi son image (et son mot à dire)

J’en suis arrivé à un point (court trajet, mec) où, impériale, s’impose la question : « la musique pourquoi, qu’ai-je à y faire ? »

Il y a sûrement des milliers de musiciens pour qui elle ne se pose pas. Cependant, pour moi y répondre, devient presque une condition sine qua non: il m’a fallu ingérer, trier, essayer de comprendre, me fabriquer une oreille jusqu’au cœur.

Naître à la musique, voilà ce que je voudrais. Comme un enfant casserait son jouet pour voir ce qui se passe à l’intérieur, n’aurait plus voulu en sortir.

Comment me positionner face à elle ? Qui combattre ? A laquelle se vouer, par passion mais conviction aussi par après ?

J’ai une certaine appréhension des esprits de chapelle : ce qui me semble important c’est l’authenticité avec laquelle elle s’échappe, les conditions qui l’ont vu naître, évoluer. C’est qu’elle est non seulement expression, mais que plus que tout autre art, elle est dialogue.

Je rêve parfois d’une vieille dame qui me prendrait la main et m’emmènerait dans des endroits insoupçonnés puis qui me laisserait là, perdu pour un temps : toujours cette idée d’enfance. Puis elle reviendrait et à la marche s’adjoindrait la parole, au cœur l’intelligence.

Je me retourne vers un temps que je n’ai pas connu : rock, soul, expérimentations électronique. Dans les années 70, la musique populaire avait encore quelque chose à nous dire. Et c’était plutôt un « non » qu’autre chose, tantôt du bout des lèvres, tantôt craché. Si l’artiste parle c’est pour contester : pour se démarquer. Le silence est un fleuve, il trace des ponts. Le silence est la mort, il érige des barrages. Il y a la politique bien sûr, mais l’artiste agit à tous les niveaux, quand son corps le malmène, aussi il refuse. Peut-être n’est-ce qu’une impression, une nostalgie, un temps rêvé : pas si sûr.

Et d’entendre Ian Dury chanter « wake up and make love with me » *

Et Patty Smith (**) s’élance : « Jesus died for somebody’s sin but not mine » : je ne sais pas, il y a quelque chose. Quelque chose qui m’échappe (mais nous approchons là de ce qui fait le mystère de la chose), je vais lâché un mot faible, usé : quelque chose de vrai. Ce ne sont pas les paroles, les accords, la voix. Ce n’est rien et tout à la fois. On me dit quelque chose, on me parle d’un temps qui n’existe plus, je comprends pourtant.

La musique s’était adjointe la télévision, elle visitait déjà les stades. Elle se définissait comme (à ce titre : le jazz était roi) là, maintenant. L’achèvement fut quand elle se dota d’une image : se voulant réelle et présente. Par là, elle devenait une arme redoutable : mais c’était pour mieux s’enfoncer…

Je ne sais pas, j’ai dû m’assoupir un petit temps. Le changement n’est pas grand : les rôles sont inversés. Ce qui, hier, me rassurait et m’encourageait à être à la fois musicien et citoyen, sans avoir changé de forme aujourd’hui me semble vide. La musique commencerait à ressembler au silence ? Parfois, j’ai envie de rire. C’est l’indifférenciation, qui fait le vide, pas la puissance des baffles.

Indifférenciation rime avec mémoire de poisson.

Poisson rime avec beaucoup de choses sauf fenêtre.

Qu’on pense que la musique sérieuse est obsolète et ennuyeuse est une chose : dire que Vincent Delerm est un génie en est une autre.

Si nous faisions la révolution avec une flûte à bec ?

Il semblerait que la critique s’est absentée, ou a changé de rive. Elle s’est aussi adjointe une image, celle de la publicité. Je n’apprends rien à personne, je crie une de mes peurs.

Tout le monde est parti pendant la nuit. Un grand blagueur a repeuplé le monde de marionnettes, est-ce ?

J’ai usé l’oreiller avant que d’être ou alors, c’est elle. Devenue vieille. Ou ce sont les gens qui, de passage à la médiathèque (où je travaille) ne manquent pas de m’indiquer que ce que jouent David Murray et Hamid Drake*** ou God Speed You Black Emperor**** n’est pas de la musique quand par un malheureux hasard, ils entrent quand je joue un de ces CDS.

Une image donc : les plus belle marionnettes sont les groupes de metal et autre dérivés commerciaux (pas tous évidemment, il existe quand on va chercher l’information, toujours des remèdes). Mieux : ils se déguisent, se déguisent en méchants, en contestataires, en pacifiques. Le retournement est subtil. Ce qui me fait dire que ce genre de personnes sont celles qui maintiennent les choses telles qu’elles sont, c’est qu’elles me mentent : elles mentent parce qu’elles ne disent rien. Elles ne sont pas des images mais des icônes. Est-ce qu’aujourd’hui, quelqu’un pense encore au fond de lui déranger en se montrant la tête pleine de sang sur une pochette ?*****

Je joue encore au nostalgique quand je regarde avec émerveillement la couverture du vinyle (pas réédité en cd, évidemment) « saxophone solo concert » de Roscoe Mitchell, ou dans un autre registre, une des images du livret sur l’album des Sparks « Indiscreet », ou plus près de nous la photo qui hante la pochette éponyme du groupe Rage Against The Machine, et la liste est longue.

Il y a, je pense, dans tout ceci quelque chose qui cloche. Un obstacle, m’empêchant de répondre à cette question « pourquoi la musique ? » : comme si auparavant, il y avait des choses à redéfinir, aller voir par delà le mensonge et l’ignorance, pour qu’enfin la musique soit une évidence.

Redéfinissons donc le silence : redonnons un sens aux paysages.

La Louvière, le 28 août 2005

* Ian Dury :new boots and panties

** Patty Smith : Horses

*** David Murray And The Gwo-ka Masters featuring Pharoah Sanders : Gwotet

**** God Speed You Black Emperor : lift your skinny fists like antennas to heaven

***** Andrew W.K. : I get wet

#8 : aude virgo - tu me proies

Tu me proies

Une association d’images volées aux instants, aux souvenirs, au quotidien des souvenirs, et de mots, enfuis. Trop loin. Des phrases brutes en vrac, en face, un individu silencieux. La violence affronte l’inertie. Une terrible insignifiance s’assimile aux émotions fragiles et délavées. Et puis, sans arrêt, des impressions de phrases hurlées à un auditoire vide. Une personne suffirait à le peupler. Dommage : des cicatrices saillent hors tout propos, surgissent en évidence. L’air s’emplit d’hier et le freine. L’être se tire à reculons. A mon tour, alors, je me rends au-delà, je me résous et ne retiens qu’un fil à nouer à l’avenir.

Merci quand même à ceux-ci si particuliers…

Comme les autres, tu ne désires encore que des miettes, mes poussières pour godasses sales. Me prendre, je remontais la pente. Me jeter aux cochons. Je développais mes instincts, ces instants, pour ressentir le manque. Me livrer aux enfoirés, tes miasmes incrustés. L’argent ne compense même pas tes actes. Suis-je aveugle ? Déshabillage précipité, te revoilà. Solitude absoute, reste ! Aux nues, je tombe d’elles. Tu t’acharnes : os cassée, cheveux perdus sur draps froissés, ongles broyés et soie arrachée. Prends-moi. Exige-moi seulement. Le temps entre unique par l’embrasure de la porte. J’insiste : résiste donc ce coup-ci. Seulement en cette minute. Tu te désistes une fois de plus ; tu m’avais promis, tu m’avais dit… S’il te plait ! Non ! Je t’aimerai, comme eux, de ton indifférence. Je me proie. Seule. Pardon.

#7 : pierre jambé - alice

Alice

Alice tousse toussote

dans l'humidité d'un atelier projet fou d'habitation

fragile pour personne fragile

bronchite versus syndrome d'immuno-déficence acquise

sourire généreux d'une vie destinée

à offrir offrir avant de prendre fin

et tant que les lymphocytes seront en nombre suffisant

je te regarderai dans les yeux

je pénétrerai tes entrailles

pour y trouver la preuve que nous vivons ensemble

et que la mort est une perspective d'avenir

que nous partageons à égalité

oser les mots menteurs

aux mots menteurs refuge

le langage du corps

serrés mes bras sa poitrine et ma jambe entre ses jambes

ou volontaire son entrejambe contre ma cuisse

dansent le slow

ouïr les mots menteurs

que va-t-elle trouver

ou plutôt

qu'est-ce que je vais laisser voir

dans mon regard

qui m'est insupportable

oser les mots menteurs

oser les mots menteurs

#6 : stéphane meunier - projection

- Au bord des vagues. Trente ans d’ici. Et l’écume verdâtre et les mouettes.

- Il y a trente ans…

- Trente ans. Le cri des enfants qui jouaient au gré des immeubles. Et l’on se promenait sans surprise. Pas d’alarme. Un vent fort qui nous portait. C’est ce vent de la Mer du Nord. Plein d’iode, et il faut s’en remplir les poumons. Car il n’y en a pas à l’entour des terrils, de l’iode. Et ça aide à passer l’hiver sans encombre.

- S’il te plait…

- Oui. Nous nous promenions ta mère et moi. Et je préférais qu’elle me donnât la main, comme à chaque fois que l’on gambadait côte à côte. Mais jamais nos doigts ne se nouaient. Ou alors quelques secondes, puis sa peau furtive qui glissait. C’eût pu être une journée splendide. Le soleil puissant du matin l’annonçait. Midi approchait lorsque nous terminions la promenade ; nous avions marché longuement. Je vois encore ta mère qui se portait fièrement, de la dignité des pieds au visage. Son sourire comme une grimace, son sourire qui résonnait comme un piano désaccordé. Son visage d’une pureté factice, d’une netteté sans âme. Partir vainqueur, la tête haute. Moi j’aimais les dalles et les trottoirs ; elle préférait dominer la foule de ses airs arrangés. Des dents blanches, des dents à brosser trois fois par jour. Des mains à laver sans arrêt. Sa peau à polir, sa peau à désinfecter. Sa peau qu’on ne frôle sous peine de la salir. Puis il y avait ses mots. Des mots dénaturés, des mots rentables. Rien de gratuit, rien à offrir au vent. Des mots qui atteignaient mes tympans selon un tracé prédéfini. Je souhaitais pourtant qu’elle dît des mots que je n’eusse pu entendre, des mots hurlés à l’océan. Il n’y en eut aucun. Je le sais. Ses mots tendres comme des friandises à un chien qui s’assied. Ses mots tendres comme le taux d’intérêt d’un compte épargne. Cependant, elle restait belle et blanche comme une statue. Sur la potence, elle l’eût gardée, sa dignité. Sache aussi que je ne pensais pas cela alors. C’était avant que ne survienne cette femme.

- Cette femme…

- Midi. La promenade sur la digue terminée. Nous regagnions la voiture, garée dans un parking. Les parkings sont étranges à la Mer du Nord. Leur béton a quelque chose d’émouvant, parce qu’il est souvent bordé de dunes, dont le sable jaune se propage au gré du vent, insensiblement. Puis cette lumière tamisée, filtrée par d’épais nuages, dont on devine malgré tout la puissance originelle. Les parkings, à la Mer du Nord, ont en fait quelque chose de dramatique. Surtout par le temps qu’il faisait alors. Un temps ténébreux. Il semblait pleuvoir. Or, aucune goutte alanguie sur les dalles. Peut-être pleuvait-il au loin. Et lorsque j’ouvris ma portière, il faisait presque noir. Quelques rayons transperçaient les nuages pour s’évanouir un instant plus tard. Et c’est là, à cet instant, précisément…

- A cet instant…

- Précisément. Alors que je penchais la tête pour entrer dans la voiture, je fus arrêté dans mon mouvement ; je demeurai debout, derrière la portière, les yeux béants. Ta mère ne vit rien, elle se remaquillait. Il y avait, quelques places plus loin, une voiture dont on apercevait parfaitement la conductrice. Une femme relativement jeune ; la trentaine. Un spectacle unique. Ebouriffée. Paupières à moitié closes. Du maquillage qui dégoulinait avec les larmes jusqu’au menton. Les sanglots animaient tout son être. Des perles chaudes sans arrêt. Ses mains griffant son visage, ses doigts partiellement ornés d’un vernis rougeâtre. Je ne pensais rien, j’étais contemplatif. Et malgré moi, je crus deviner la cause de son état, lorsqu'elle s’empara nerveusement d’un téléphone. La sensation de l’objet froid posé contre son oreille semblait la détendre. Elle attendit quelques secondes, les yeux fermés. Puis, subrepticement, le blanc de ses yeux réapparut. Des mots sur ses lèvres, un sourire léger. Puis des mots qui insistaient, et les lèvres qui tremblaient à nouveau. Le téléphone qui glissa de sa main pour sombrer je ne sais où. Et les pleurs qui reprirent, plus tragiquement encore. Tout en sanglotant, elle tenta de se recoiffer et d’arranger son maquillage à l’aide d’un petit miroir. Cela ne changeait rien à sa détresse. Alors son sac à main qu’elle ferma d'un geste violent et nerveux. Elle s’apprêtait à sortir. Je gagnai rapidement mon siège, afin qu’elle ne remarquât pas mon indiscrétion. Mais mon regard ne put s’en détacher, et croisa le sien. On y devinait toute la détresse d'une âme, la force d’un destin tragique. Elle partit ensuite prestement vers la digue. Il y avait, sans doute, un homme derrière son chagrin.

- Mais, je ne comprends pas…

- Vois-tu, ta mère, durant ce court instant, m’adressait je ne sais quels reproches que je ne relevai pas. Ma distraction, mes cheveux mal arrangés. Alors qu’en face de moi, l’Authentique, la vérité des sanglots. La fragilité véritable. Puis, la carapace de ta mère. Ta mère au visage pâle, ta mère au teint effroyable. Ta mère qui n’aura jamais pleuré ni ri véritablement. Sa vie comme une longue calomnie, sa vie qui n’était pas la sienne. Elle s’offrait au regard des autres qu’elle croyait éblouir. Moi, le sourire en poche et les mains dans une boîte à sardines. Moi, je voulus alors une femme qui pleure. Avec des larmes et des sanglots partout sur le visage. Et après, peut-être, des sourires à nouveau. Jour d’armistice, jour des armes à rendre. Je décidai, vois-tu, de quitter ta mère.

#5 : constantin dubois - silent hill 2

Voir aussi ici...

Une critique de jeu vidéo est confrontée à une difficulté supplémentaire et spécifique, en plus du travail propre de la critique. Difficulté extérieure à l'objet particulier de cette critique, mais inhérente pour nous, maintenant, au projet de considérer le jeu vidéo comme un art. En d'autres termes, en plus du travail, on est contraint de fournir une justification de ce travail. Cela nous arrache du moins à l'évidence sur laquelle repose toute critique artistique, qui n'est possible qu'une fois exposées les raisons de considérer telle activité humaine comme une oeuvre d'art. Que des pigments sur une toile ou même le travail d'un peintre puisse être l'objet de la critique, cela est passé (et passe toujours) par des justifications, des restrictions, des codes.

C'est dans ce travail préliminaire que réside le premier intérêt qu'il y a à tenter une critique de jeu vidéo. Car divertissement mercantile et art pleinement maîtrisé y sont désespérément mêlés, et souvent au coeur du même jeu. Mais une poignée d'oeuvres d'art ne doivent pas être méprisées, méconnues et oubliées parce qu'elles partagent le même support que des produits commerciaux. On ne tient pourtant toujours pas là les raisons qui convaincraient un étranger à la cause ; seulement ce qui la rend pressante aux yeux des convertis. Le seul moyen de communiquer cette nécessité est de faire mentir le mépris généralisé des jeux, en y opposant un contre-exemple.

Il ne semble pas inutile, pour commencer, de donner le prétexte de Silent Hill 2, d'autant que celui-ci étant la toute première information délivrée dans le jeu, ce ne sera pas là trop en dire. Un homme d'apparence banale, appelé James, s'est rendu dans une petite ville de montagne Silent Hill. Il y avait passé sa lune de miel avec sa femme, depuis décédée trois ans avant le début du jeu : Mary. Il a en effet "reçu une lettre" signée de celle-ci, affirmant qu'elle l'attend là-bas.


Curiosité pour le mystère

Le premier sentiment qu'inspire Silent Hill 2 n'est pas la peur, mais la curiosité. Le jeu débute dans un décor qui pourrait faire figure d'annonce pour tous ceux qui vont suivre : des toilettes publiques au bord d'une route, sales, abandonnés, taggués, rouillés. Eraserhead, The Element of Crime, Stalker viennent à l'esprit en parcourant la ville, fraîchement abandonnée et lourdement industrialisée. Il est rarement facile de distinguer la rouille du sang sur les murs. Chaque mur comporte sa part de marques d'une vie passée, assez fournies en sous-entendus et assez équivoques à la fois pour exciter la curiosité et l'imagination, sans les satisfaire à aucun moment. La curiosité n'est bien sûr éveillée qu'à condition d'avoir une affinité minimale avec ce genre de décors ; mais une ouverture au mystère est également suffisante. Le dispositif du jeu vidéo semble d'ailleurs spécialement efficace dans ce but, dans l'évocation de ce genre de décors (qui semblent être les descendants des ruines romantiques) ; plus que le cinéma, où les décors étant plus montrés (et donc aussi cachés, laissés de côté) que regardés, la curiosité qu'ils engendrent y est toujours plus frustrée qu'excitée. Il n'est pas absurde en effet de dire que Silent Hill 2 est en grande partie un jeu d'exploration, malgré la terreur qu'il ne peut manquer d'inspirer, qui inviterait à aller droit au but, ou à n'aller nulle part. L'autonomie relative laissée au joueur quant au contrôle de l'angle de vue est plus fondamentale qu'il ne pourrait sembler. Elle laisse le joueur s'imprégner des lieux et les observer à sa guise. Les connaître. Les reconnaître aussi, car il y a des leitmotivs : les voitures obstinément closes, les portes qui sont comme des potentiels ; les ouvertures murées, les passages condamnés ; les sols grillagés, synonymes de danger ; les messages inscrits çà et là, toujours plus énigmatiques qu'explicatifs, renforçant le mystère. Il nous semble que Silent Hill atteint un sommet dans l'utilisation du mystère et du plaisir qui lui est associé. On goûte rarement au mystère (comme dans les cinémas de Tarkovski ou de David Lynch) de façon aussi pure, c'est-à-dire sans aucune arrière pensée, sans aucune explication transcendante, promise, qui viendrait le réduire. Ici le mystère est tout ce qu'il y a : des signes qui jouent entre eux, c'est-à-dire ne renvoient qu'à eux-mêmes. Le plaisir du mystère n'est pas dans la découverte du transcendant qui va l'expliquer, mais dans la contemplation de notre propre incompréhension.

Enfin, à aucun moment, les décors ne feront autre chose que de rajouter des éléments demandant explication. Et bien sûr aucun discours final et didactique ne viendra supprimer ces mystères. On ne saura jamais pourquoi la caravane porte une trace si puissante d'activité humaine disparue, ni ce qu'il y a dans le tunnel fermé, ou pourquoi il faut traverser la prison. Ce qui compte, c'est que le joueur soit mené à Silent Hill, poussé à l'explorer, jusqu'à ce qu'il s'y sente chez lui, et trouve un répit dans la déambulation. C'est la brèche par laquelle tout sera possible.

On remarquera que le choix de la troisième personne pour la représentation du joueur, si elle est un héritage des premiers jeux du genre (de Alone in the Dark à Resident Evil), a elle aussi son utilité. Elle est plus efficace qu'une représentation subjective, où il n'y a plus de personnage auquel s'identifier, et dans laquelle contrairement à ce qu'on pourrait penser, on est moins impliqué, le sentiment produit n'étant pas l'immersion dans l'action, mais au contraire la mise à distance, puisqu'on observe le jeu à travers un oeil étranger et impersonnel. Ici, la banalité du personnage, ajoutée à son omniprésence à l'image, crée une identification extrêmement forte. Pour être précis, il faudrait dire que cette identification est telle qu'elle transperce de part en part le personnage de James. En fin de compte, celui-ci est surtout un véhicule pour le joueur, qui lui emprunte son détachement, tout en le contemplant de l'extérieur.


Peur, totalitarisme

On ne saurait nier que la seconde émotion majeure dans Silent Hill, c'est la peur. C'est presque une obligation étant donné l'appui qu'y a trouvé la publicité ; mais ce n'était là qu'utiliser le potentiel le plus évident du jeu. Omniprésente, elle traverse un grand nombre de colorations : peur diffuse proche de l'interrogation lors de la descente initiale à travers la forêt ; panique aveuglante lors de la première rencontre avec une forme de vie ; profond malaise lorsque la violence ou la saleté baroque typique de Silent Hill est déployée. Mais la peur centrale, et celle qui deviendra vite omniprésente, n'est jamais le fait direct de l'environnement. La peur immédiate, l'atmosphère de Silent Hill, est le fait de ses habitants.

D'abord bien sûr, ce sont les « monstres ». Ils constituent la seconde grande réussite esthétique du jeu, qui n'avait pas été techniquement possible dans le premier volet : un travail à cheval sur l'indistinct et les symboles. Amorphes et affublés de minces signes de reconnaissance, ils semblent tous tirés d'un inconscient en ruines, où les structures auraient fondu, laissant voir, dépassant de la masse carbonisée, quelques vestiges symboliques : des jambes féminines, un uniforme d'infirmière. C'est le versant plus violent, plus explosif de la peur : une créature surgit de l'obscurité ou du brouillard, il faut fuir ou l'abattre. On voit bien en quoi le dispositif de la radio cassée, qui fait entendre de la friture lorsqu'un ennemi approche, tente de diffuser cette peur, l'étaler dans le temps et l'espace (0). Mais le fond de peur, plus ambigu, plus constant, est celui qui naîtra lentement au contact des autres humains.

Ceux-ci tranchent radicalement avec la masse nombreuse des monstres uniformes. Ils se comptent sur les doigts d'une main, et portent tous une personnalité très forte - voire parfois caricaturale. Dès la première rencontre, avec Angela dans le cimetière, c'est-à-dire avant même d'entrer dans la ville, on est surpris par le calme qui la caractérise. Elle semble seulement un peu confuse. Cette attitude contraste déjà beaucoup avec son environnement : un cimetière désert au coeur d'une forêt envahie par le brouillard. Ce sera le cas de tous les personnages : pris dans une sorte de schizophrénie, ils semblent soit totalement hébétés et détachés de la réalité, soit terrifiés comme on le serait à leur place. Mais jamais les deux attitudes ne se mélangent. On est surpris aussi par le naturel avec lequel James les croisera et les laissera sur son chemin (1). Sauf avec Maria, dont le cas est bien sûr spécifique, dans son ambiguïté avec la femme défunte, jamais les personnages ne s'uniront ou iront ensemble un moment. Ils ne chercheront pas à expliquer la situation, ni partiulièrement à en parler, ou globalement à la combattre en aucune façon. Ce qu'on retrouvera, c'est une sorte de résignation muette et sereine, comme si ces humains pliaient sous une fatalité qu'ils pouvaient seulement ressentir et non communiquer. Les corps sont très souvent assis, allongés, recroquevillés - encore une fois, celui de Maria excepté, qui se déploie presque toujours en hauteur. En eux-mêmes tous ces comportements ne sont pas ambigus : au contraire, ils sont trop univoques, trop simplement sereins. C'est le contraste entre ceux-ci et les évènements qui crée l'ambiguïté. Il ne faut cependant pas laisser de côté le fait que, par instants, Angela ou Eddie sombreront dans des désirs suicidaires ou meurtriers, qui ne surprendront pas plus James. Comme si la réalité et la gravité de la situation refaisaient surface à volonté, lorsqu'on cesse de les nier, lorsque les conséquences se manifestent dans les comportements. On est là très proche de ce qu'Orwell appelait double pensée, c'est-à-dire l'"hypocrisie sincère" caractéristique des sociétés totalitaires - le pouvoir d'auto-suggestion de la pensée, qui à force de se forcer à croire à un mensonge établi, y colle finalement avec plus de force qu'à la réalité fournie par les sens.

Finalement, on voit bien que ce qui pouvait maintenir l'esprit de James hors de la folie, ce qui pouvait encore structurer son expérience : les relations à d'autres humains sains d'esprit, est en réalité ce qui va le plonger et avec lui, le joueur, dans la peur la plus profonde, dans une folie douce omniprésente. La sérénité ambiguë de ces individus parachutés dans Silent Hill, est ce qui est le plus déstabilisant. La situation ne peut manquer de rappeler l'expérience décrite par Primo Lévi dans Si c'est un homme. Il ne s'agit bien sûr aucunement de comparer le jeu Silent Hill à la réalité des camps de concentration. Ce qui se rejoint ici, c'est l'émotion produite par la société de Silent Hill, et la description qu'on peut lire dans les pages de l'écrivain. Primo Lévi écrit en effet d'une façon percutante que plus aucun espoir n'habitait les prisonniers du camp ; ceux-ci se caractérisaient au contraire par une résignation à l'évidence effrayante : "Pour nous, le Lager n'est pas une punition ; pour nous aucun terme n'a été fixé, et le Lager n'est autre que le genre d'existence qui nous a été destiné, sans limites de temps, au sein de l'organisme social allemand."(2) Aucune contestation, aucun espoir d'échappatoire qui expliquerait que l'on puisse supporter la situation jour après jour, même si cet espoir est illusoire. Cette acceptation volontaire et quotidienne (3) est une promesse d'éternité, et c'est là ce qu'on peut entrevoir dans Silent Hill qui est si terrifiant. La situation n'est appréhendée par aucun personnage comme un événement ou une exception, mais comme l'habitude et la règle. Les descriptions religieuses de l'enfer manquèrent rarement de mentionner l'éternité des souffrances. Que l'horreur la plus grande soit éternelle, c'est encore faire un pas de plus dans l'horreur. Et dépasser cette horreur maximale, c'est montrer qu'elle est potentiellement infinie.

Dans cette direction, on pourrait noter plusieurs détails faisant de Silent Hill 2 un jeu très dirigiste, voire totalitaire. Tout choix y est plus ou moins manifestement illusoire : lorsqu'une question nous est posée, il est bien évident que si nous refusons l'action proposée, nous n'irons pas plus loin dans le jeu. La question ne fait que mettre l'accent sur le caractère repoussant d'une action inévitable (plonger l'avant-bras dans une vieille cuvette de toilette par exemple). Quand aux environnements, ils canalisent totalement les mouvements, encore une fois en laissant un petit peu d'initiative, mais celle-ci restant toujours illusoire. On peut se déplacer à loisirs dans les rues, mais pour faire naître de nouveaux évènements, il faudra aller explorer de nouveaux espaces inconnus. Dans les couloirs de l'immeuble ou de l'hôpital, la pression sur les mouvements est énorme. Pyramid Man, monstre récurrent, fait sa première apparition statique, écarlate, terrifiant, derrière les barreaux dans le couloir du premier étage de l'immeuble. Et une fois que nous avons contourné ceux-ci, nous sommes contraints de retourner sur nos pas, là où nous savons l'avoir vu nous attendre, car il y a une porte au-delà, et toutes les portes doivent être essayées. A ce moment, ce n'est pas un hasard si le point de vue est fixé sur James en plongée, nous empêchant tout à fait de regarder dans cette direction avant de nous y rendre. Nous sommes enfermés, contraints d'agir, de plonger aveuglément dans la peur. De même, le mécanisme, qui finit par être connu du joueur, selon lequel l'environnement déjà connu et exploré (donc moins effrayant) se transforme et redevient dangereux lorsque l'on a accomplit une action importante, met dans une "situation impossible" tout à fait similaire à celle des sociétés totalitaires : nous sommes contraint à agir d'une façon dont nous savons aussi qu'elle nous vaudra d'être punis.

Un autre passage est intéressant à décrire ici, il se situe vers la fin du jeu. Nous essayons de monter dans un ascenseur individuel, mais nous sommes trop lourds, comme le signale une violente alarme qui retentit dès que l'on y met le pied. Pour accéder au droit d'utiliser l'ascenseur, il faut se dépouiller un à un de tous les objets qui composent l'inventaire, pour les déposer dans un placard adjacent. D'une part, parmi les objets abandonnées, il y a la lettre de Mary, dont l'abandon est évidemment symbolique. D'autre part, tout se passe comme si l'on était obligé de se déshabiller soi-même pour progresser. D'abord, on essaie évidemment de ne laisser que les objets inutiles : mais comment imaginer se débarasser des armes, de la torche ? Et pourtant, il faudra absolument tout laisser, la sanction de l'alarme à chaque nouvelle entrée dans l'ascenseur le rappelle. Un tel procédé ne vas pas sans rappeler, qu'on le veuille ou non, les humiliations par mise à nu, utilisées par exemple dans les camps de concentration. On mesure là à quel point Silent Hill 2 n'est vraiment pas un jeu banal.

Plus généralement, ces similitudes entre Silent Hill 2 et le monde totalitaire se synthétisent dans l'idée suivante : la logique doit plier devant le désir. Dans 1984, la double-pensée, qui doit être pratiquée par tout bon membre du parti, consiste à se persuader de la vérité des différentes affimations du pouvoir, malgré leur caractère totalement incompatibles entre elles. La même chose se produit ici. Le blocage dans l'esprit de James est tel que toute les lois de la réalité extérieure doivent plier, qu'elles soient logiques, topologiques, sociales. On peut donc émettre l'hypothèse que Silent Hill nous donne une idée de ce qu'est la vie dans un monde totalitaire.

Il est évident que dans une telle situation, la question des raisons pour jouer devient pressante. Ce n'est pas seulement l'ambiguïté du succès de Silent Hill et de ses clones, de cet engouement pour des jeux dont la capacité à effrayer est le principal « atout ». La série des Silent Hill est spécifique à ce niveau, tant elle se détache aussi de ce genre de "divertissement effrayant". Et il est vrai que chacun de ses volets est difficilement soutenable longtemps avec de la concentration ; mais ce n'est que dans Silent Hill 3 que cette question des raisons pour jouer deviendra centrale. Ici en réalité nous l'avons déjà résolue. L'entretien du mystère, est assuré en premier lieu par les décors ; en second lieu, par la lettre de Mary, consultable à volonté. Comme le note l'inscription ci-dessous, celle-ci n'est qu'un prétexte, et croire en une quelconque résurrection de Mary ne peut être utile qu'à découvrir ce qui a pu se passer lors de sa mort. Il était donc essentiel que le joueur dispose également, dès le début, d'un espace de répit où diffuser parfois la peur. Lorsque celle-ci prend le pas sur la curiosité, alors c'est là que l'on arrête de jouer - temporairement ou définitivement.

Immersion dans la folie

Ce noeud de la peur et de la curiosité n'est pas seulement ce qui sauvegarde la possibilité du jeu. Il va produire ce qu'il y a de plus réussi et de plus fascinant dans Silent Hill 2 : c'est l'immersion de James dans la ville, et avec lui, du joueur qui l'utilise comme véhicule. On ne se promène dans la ville comme un étranger, de passage, conservant la possibilité d'en sortir, que pendant les premiers temps du jeu. Très vite, on est obligé de se sentir à Silent Hill comme chez soi.

C'est d'abord que le seul moyen de sortir du cauchemar, ou, ce qui revient au même, de la ville, est d'arrêter de jouer : c'est-à-dire l'équivalent d'un suicide dans le jeu. Si l'on est lâché en liberté dans la ville, celle-ci n'a pourtant aucune issue praticable. La répétition des situations, des lieux, des rencontres, crée alors une vraie routine : par exemple, alors que la première rencontre avec une créature était terrifiante et évitée, on se rend vite compte par la suite, qu'il n'est pas difficile de tuer ou éviter ces ennemis, et plus pratique que de les fuir de façon erratique. Les coups de pied-de-biche ou de pistolet s'inscrivent platement dans une mécanique de l'évolution dans la ville, comme traverser la rue. L'étrange apathie des personnages, Angela, Eddie, Maria, nous finissons par la comprendre, parce que nous en faisons nous-même l'expérience : plongés dans l'horreur, même en enfer, nous prenons encore des habitudes. La difficulté et le caractère éprouvant de la peur font de Silent Hill un jeu long. Car que nous nous sentions "chez nous" ne veut pas dire que la peur disparaît, au contraire. C'est une routine de la terreur - autant dire que ce sur quoi une vue nous est ouverte, c'est aussi une forme de folie. Il ne nous semble pas que le cinéma ait réussi à produire une telle reconstruction de la folie et de l'enfer, au sens où ici, le joueur lui-même y participe. La folie au cinéma n'est bien souvent que représentée et extérieure, même quand elle contamine la mise en scène. On y est cerné par le dispositif du montage, qui annule la dimension banale et non découpée du temps, là où peut prendre place l'habitude. Le regard, plus nettement guidé, reste celui d'un autre par les yeux desquels on voit ; mais il ne devient pas notre regard. On peut y voir ce qu'on nous montre, mais pas guider notre regard et nos mouvements de façon autonome. Il est évident que le regard est également guidé dans les jeux vidéo, mais d'une part, une simple illusion d'autonomie est suffisante ; d'autre part, une complète autonomie du regard est une utopie. Puisque nous nous plaçons dans la folie, il importe peu, de toute façon, que l'autonomie soit réelle - tout comme l'explication du rêve ou de l'hallucination n'a que l'intérêt d'une blague ou d'un passage obligé (et sera judicieusement traité comme tel dans les trois volets).

De toute façon, les signes sont mêlés chaotiquement ; la société n'est plus structurante mais aliénante ; l'abattage de "monstres" est un geste aussi mécanique que l'ouverture d'une porte ; la terreur est le fond de toute évolution dans la ville. Dans ce cadre, tout ce qu'il reste à faire, à la fois possible et nécessaire, c'est s'abandonner au mystère et à la folie.

Pour conclure, nous dévoilerons en grande partie la fin du jeu. Mais nous ne pouvons manquer d'en parler, car elle constitue encore un moment très fort, fascinant et émouvant. Elle tire probablement une partie de cette force émotionnelle du contraste avec les passages qui l'ont précédé. En effet, les derniers moments de l'évolution dans la ville sont de plus en plus violents : que ce soit dans ce qu'ils laissent voir (le lourd passé des personnages : James qui tua sa femme, Angela violée par son père), dans ce qu'ils montrent (la mort de Maria, qui dans son caractère mis en scène est, de façon presque intolérable, proche de la reproduction d'un snuff movie), ou dans la contamination du dispositif par la folie de James (plans des lieux de plus en plus erratiques, spatialité et temporalité chamboulées, l'ultime coup de feu...). Ainsi, lorsque le jeu se termine, lorsque nous assistons à la courte scène entre Mary et James, et surtout lorsque nous écoutons dans son intégralité la lettre initiale, tout se passe comme un brutal retour à la réalité. Une réalité crue, on ne peut plus pathétique, mais aussi et surtout pleine d'amour. Il faut souligner l'exceptionnel jeu de l'actrice qui enregistra la voix de Mary lisant cette lettre. En quelques instants, toute la folie, la violence, souvent au-delà des limites qu'il faudrait peut-être tolérer, du jeu entier se résorbent en une histoire d'amour. Banale, mais comme les histoires d'amour de Paris, Texas, The Brown Bunny, sont banales, c'est-à-dire d'une force telle qu'elle transforment violemment la réalité derrière elles. Une fois terminées, nous sommes obligés de passer par des détours infinis comme ceux de Silent Hill pour rendre compte de leur force.

[0] Cette radio, omniprésente dans chaque épisode, est aussi le premier élément de contrôle totalitaire. En effet, elle nous est donnée comme un outil, un moyen d'éviter les surprises en nous prévenant de la proximité des ennemis. Mais en réalité, comme elle fonctionne avant et après la rencontre, elle ne fait que diluer la peur et la faire régner en permanence. Les grésillements de la radio nous mettent dans une disposition bien précise.

[1] Cette transparence dans le comportement de James est aussi la marque extérieure de sa folie. Sa démarche nonchalente, son expression vide, ses réactions parfois déplacées sont autant de signes de calme et de détachement qui jurent avec la situation. Par exemple, lorsqu'il tire sur Pyramid Man depuis le placard, il est évident que celui-ci cherche à le voir, puis l'évite. Mais après avoir tiré, James se comporte encore comme s'il pouvait se cacher. C'est pour nous montrer ce comportement bizarre que la main est prise au joueur dans ce passage. Cette stupidité des personnages est tellement anti-conventionnelle qu'elle passe parfois inaperçue, ou bien est mise sur le compte d'une mise en scène défaillante.

[2] Primo Lévi, Si c'est un homme, traduction Martine Schruoffeneger, éd. Presses Pocket p.89

[3] Encore une fois nous ne prétendons à aucun moment parler ici des camps de concentration de l'histoire. Il est impossible de nier que les prisonniers des camps de concentration, durant la seconde guerre mondiale ou à toute autre époque de l'histoire, se soient soulevés, révoltés, battus.

#4 : aert goes - spy vs spy


#2 : ben arès - à toi chère solitude

A toi chère solitude

dédié aux lecteurs, aux vivants, aux écrivants


à toi le rétracté le timide le confus de ne rien comprendre
à toi sinon rien de n'effleurer que brumes de vacarme de ne brasser qu'ennui proférant silence
à toi qui te sens bête implorant l'asile du brouhaha
à toi l'égaré jeté dans l'eau le train-train du bain de nulle part
à toi perdu mené en bateau depuis l'enfance cadenassée dare-dare
à toi le pressé dans ta course comme un citron d'ambition
à toi le désoeuvré d'amour en bandoulière
à toi l'écrasé le cancre qui reprend du poil de la fête
à toi la méfiance de la nuit la poésie te chante
ne t'esquinte pas ne décortique pas à te marteler l'ombilic des nerfs de la tête
non non non
ne te tord pas le chicon des neurones n'opère pas
le sens vibre en lui-même revit
de rythmes en borborygmes
vois et lis et vois de toucher l'oeil la main de ressentir
écoute pousser les fleurs l'écho la voix intérieure
oui écoute la musique oui
les sons en cascades en ressacs écoute
les cordes des pulsations des élans et des rondes écoute et danse
dans la chaleur d'un abandon lâche prise laisse aller
de toi à toi à elle à lui laisse-toi emporter
ouvre tes conques à la mer au fleuve des tablas aux feux du Mat
ouvre oublie le sens et la prudence la peur qui te noie
ouvre écoute et pars
la magie est à toi

#1 : manifeste de dispersal

Ici commence l’aventure Dispersal, ouvrez grandes vos mains, donnez-nous vos oreilles, dynamitez vos habitudes.
Dispersal est un collectif pluridisciplinaire, un work in progress multiple et protéiforme né de la volonté de certains (rejoints par d’autres ensuite, et par d’aucuns bientôt) de former, construire, échafauder, une véritable émulation artistique, ancrée dans le présent et l’intemporel, l’ici et l’ailleurs (les activités principales du collectif sont basées à Bruxelles pour l’instant mais des extensions sont prévues sur Liège, et des participations d’artistes étrangers voient le jour : ainsi pour la première revue, des dessins de Finlande et des textes de France). Dispersal se veut plate-forme de solidarité artistique.
Dispersal est aussi né de la prise de conscience d’une problématique liée à la création et d’une envie de dynamiter celle-ci. En effet, le cloisonnement actuel n’agit plus seulement entre les genres, mais aussi au sein même du processus de création en posant des intermédiaires entre la pensée, l’acte même, et sa réalisation ( nous entendons par là : production, diffusion).
Nous pouvons donc dégager les axes principaux dans lesquels Dispersal veut et va sévir. D’une part mettre en contact, susciter les rencontres et les surprises (porteuses dans leur complémentarité d’une fécondité rare) entre artistes cherchant dans des voies différentes, mais se complétant, se nourrissant, s’entrechoquant.
D’autre part créer des structures de production, diffusion, des scènes de parole et d’ouverture dans lesquelles chacun y aurait une place, en tant qu’acteur et intervenant. Place qu’il aurait lui-même à définir, dans un but d’épanouissement personnel au sein d’une collectivité.

Dispersal croit en la fin de l’inertie qui nous baigne, tous, au jour le jour.

Février 2006.