#9 : maxime coton - la musique a aussi son image (et son mot à dire)
J’en suis arrivé à un point (court trajet, mec) où, impériale, s’impose la question : « la musique pourquoi, qu’ai-je à y faire ? »
Il y a sûrement des milliers de musiciens pour qui elle ne se pose pas. Cependant, pour moi y répondre, devient presque une condition sine qua non: il m’a fallu ingérer, trier, essayer de comprendre, me fabriquer une oreille jusqu’au cœur.
Naître à la musique, voilà ce que je voudrais. Comme un enfant casserait son jouet pour voir ce qui se passe à l’intérieur, n’aurait plus voulu en sortir.
Comment me positionner face à elle ? Qui combattre ? A laquelle se vouer, par passion mais conviction aussi par après ?
J’ai une certaine appréhension des esprits de chapelle : ce qui me semble important c’est l’authenticité avec laquelle elle s’échappe, les conditions qui l’ont vu naître, évoluer. C’est qu’elle est non seulement expression, mais que plus que tout autre art, elle est dialogue.
Je rêve parfois d’une vieille dame qui me prendrait la main et m’emmènerait dans des endroits insoupçonnés puis qui me laisserait là, perdu pour un temps : toujours cette idée d’enfance. Puis elle reviendrait et à la marche s’adjoindrait la parole, au cœur l’intelligence.
Je me retourne vers un temps que je n’ai pas connu : rock, soul, expérimentations électronique. Dans les années 70, la musique populaire avait encore quelque chose à nous dire. Et c’était plutôt un « non » qu’autre chose, tantôt du bout des lèvres, tantôt craché. Si l’artiste parle c’est pour contester : pour se démarquer. Le silence est un fleuve, il trace des ponts. Le silence est la mort, il érige des barrages. Il y a la politique bien sûr, mais l’artiste agit à tous les niveaux, quand son corps le malmène, aussi il refuse. Peut-être n’est-ce qu’une impression, une nostalgie, un temps rêvé : pas si sûr.
Et d’entendre Ian Dury chanter « wake up and make love with me » *
Et Patty Smith (**) s’élance : « Jesus died for somebody’s sin but not mine » : je ne sais pas, il y a quelque chose. Quelque chose qui m’échappe (mais nous approchons là de ce qui fait le mystère de la chose), je vais lâché un mot faible, usé : quelque chose de vrai. Ce ne sont pas les paroles, les accords, la voix. Ce n’est rien et tout à la fois. On me dit quelque chose, on me parle d’un temps qui n’existe plus, je comprends pourtant.
La musique s’était adjointe la télévision, elle visitait déjà les stades. Elle se définissait comme (à ce titre : le jazz était roi) là, maintenant. L’achèvement fut quand elle se dota d’une image : se voulant réelle et présente. Par là, elle devenait une arme redoutable : mais c’était pour mieux s’enfoncer…
Je ne sais pas, j’ai dû m’assoupir un petit temps. Le changement n’est pas grand : les rôles sont inversés. Ce qui, hier, me rassurait et m’encourageait à être à la fois musicien et citoyen, sans avoir changé de forme aujourd’hui me semble vide. La musique commencerait à ressembler au silence ? Parfois, j’ai envie de rire. C’est l’indifférenciation, qui fait le vide, pas la puissance des baffles.
Indifférenciation rime avec mémoire de poisson.
Poisson rime avec beaucoup de choses sauf fenêtre.
Qu’on pense que la musique sérieuse est obsolète et ennuyeuse est une chose : dire que Vincent Delerm est un génie en est une autre.
Si nous faisions la révolution avec une flûte à bec ?
Il semblerait que la critique s’est absentée, ou a changé de rive. Elle s’est aussi adjointe une image, celle de la publicité. Je n’apprends rien à personne, je crie une de mes peurs.
Tout le monde est parti pendant la nuit. Un grand blagueur a repeuplé le monde de marionnettes, est-ce ?
J’ai usé l’oreiller avant que d’être ou alors, c’est elle. Devenue vieille. Ou ce sont les gens qui, de passage à la médiathèque (où je travaille) ne manquent pas de m’indiquer que ce que jouent David Murray et Hamid Drake*** ou God Speed You Black Emperor**** n’est pas de la musique quand par un malheureux hasard, ils entrent quand je joue un de ces CDS.
Une image donc : les plus belle marionnettes sont les groupes de metal et autre dérivés commerciaux (pas tous évidemment, il existe quand on va chercher l’information, toujours des remèdes). Mieux : ils se déguisent, se déguisent en méchants, en contestataires, en pacifiques. Le retournement est subtil. Ce qui me fait dire que ce genre de personnes sont celles qui maintiennent les choses telles qu’elles sont, c’est qu’elles me mentent : elles mentent parce qu’elles ne disent rien. Elles ne sont pas des images mais des icônes. Est-ce qu’aujourd’hui, quelqu’un pense encore au fond de lui déranger en se montrant la tête pleine de sang sur une pochette ?*****
Je joue encore au nostalgique quand je regarde avec émerveillement la couverture du vinyle (pas réédité en cd, évidemment) « saxophone solo concert » de Roscoe Mitchell, ou dans un autre registre, une des images du livret sur l’album des Sparks « Indiscreet », ou plus près de nous la photo qui hante la pochette éponyme du groupe Rage Against The Machine, et la liste est longue.
Il y a, je pense, dans tout ceci quelque chose qui cloche. Un obstacle, m’empêchant de répondre à cette question « pourquoi la musique ? » : comme si auparavant, il y avait des choses à redéfinir, aller voir par delà le mensonge et l’ignorance, pour qu’enfin la musique soit une évidence.
Redéfinissons donc le silence : redonnons un sens aux paysages.
La Louvière, le 28 août 2005
* Ian Dury :new boots and panties
** Patty Smith : Horses
*** David Murray And The Gwo-ka Masters featuring Pharoah Sanders : Gwotet
**** God Speed You Black Emperor : lift your skinny fists like antennas to heaven
***** Andrew W.K. : I get wet
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